Guy Bottinelli nous propose 3 textes (Bertold Brecht, SIRACIDE, Jean GUEHENNO) pour méditer et pour le plaisir des mots….
Qui a construit Thèbes, la ville aux sept portes ?
Dans les livres on lit le nom des rois.
Les rois ont ils eux même charrié les pierres de taille ?
Et Babylone qui fut détruite plusieurs fois.
Qui l’a reconstruite à tant de reprises ?
Dans quelles maisons de Lima aux reflets d’or habitaient les ouvriers du bâtiment ?
Et le soir où fut achevée la muraille de Chine
Où donc rentrèrent les maçons ?
Rome la grande est remplie d’arcs de triomphe.
Par qui furent-ils érigés ?
De qui triomphèrent les Césars ?
Et Byzance tant chantée n’avait-elle pour ses habitants que des palais ?
Même dans l’Atlantide légendaire la nuit qu’elle fut engloutie par la mer, les maîtres, se noyant, crièrent encore après leurs esclaves.
Le jeune Alexandre conquit les Indes. Tout seul ?
César abattit les Gaulois.
N’avait-il pas pour le moins un cuisinier avec lui ?
Philippe d’Espagne pleura quand sa flotte coula.
Personne d’autre ne pleura donc ?
Frédéric II fut vainqueur à la Guerre de Sept ans.
Qui d’autre fut vainqueur ?
Chaque page une victoire.
Qui confectionna le repas de fête ?
Un grand homme tous les dix ans.
Qui paya les frais ?
Tant de récits
Tant de questions
Au livre du SIRACIDE
chapitre 38, versets 31 à 34, on lit :
Tous ces gens là (1)
peuvent compter sur leurs mains, chacun est habile dans son métier.
Sans eux, aucune ville ne pourrait être construite,
on ne pourrait pas l’habiter, ni se promener dans ses rues.
Mais au conseil de la ville, personne ne demande leur avis.
Dans l’assemblée, Ils n’occupent pas les places d’honneur.
Ils ne s’assoient pas sur le siège du juge,
Ils ne comprennent rien à la loi ni au droit.
Ils ne sont pas brillants dans le domaine de l’éducation et des lois.
Ils ne font pas partie de ceux qui inventent des proverbes.
Mais ils maintiennent ce qui a été créé pour toujours et leurs prières concernent leur métier
(1) les travailleurs manuels
J’ai souvent pensé que la plus grande et la plus émouvante histoire serait l’histoire des hommes sans histoire, des hommes sans papiers, mais elle est impossible à écrire.
Ils sont passés comme des troupeaux d’ombres sur les chemins de la terre et l’on y chercherait en vain la trace de leurs pas.
Ce qu’ils ont laissé tous ensemble, les monuments, quelque menhir, quelque temple, quelque pyramide, autorisent seulement le rêve.
Les pierres nous aident à dater les siècles mais les maçons qui les manièrent n’ont pas d’âge, pas plus que les vastes terres défrichées, cultivées, la campagne humaine.
Guy Bottinelli – Juin 2016